Avec leur nouvelle marque Caritas, produite en collaboration avec les vignerons Lux Montis, c’est une nouvelle image de l’AOC Ventoux qui se dessine, plus valorisante et marquée du sceau de la qualité monastique.
Entre le Mont Ventoux et les Dentelles de Montmirail se dessine un paysage enchanteur pour le touriste mais âpre pour l’agriculteur. De tout temps, on y a cultivé des arbres fruitiers (de la « cerise du Ventoux » et de l’abricot principalement) et de la vigne aussi. Sur ces fameuses banquettes ancestrales accrochées aux coteaux - les bancaous en provençal - soutenues par des murs de pierre, des parcelles parfois minuscules sur lesquelles aucun travail mécanique n’est possible. Tout se fait à la main et tout se gagne à la sueur du front…
«Quand, avec mon frère, nous avons repris l’exploitation familiale de 15 ha, nous nous sommes rapidement rendu compte que ce n’était pas rentable ». Sébastien Carme, fils d’un viticulteur coopérateur, s’est donc reconverti dans le service de prestation de travaux agricoles sans pour autant perdre son âme de vigneron. Et sans trop s’éloigner de la cave de Beaumont-du-Ventoux où il siège depuis longtemps au conseil d’administration. Conscient d’une chose : « Tous ces paysans qui ne comptent pas leurs heures, qui ont du matériel obsolète, qui s’intoxiquent parfois parce qu’ils n’ont pas de cabine, ils n’y sont pas du tout dans les véritables coûts de production ». Ce qui manque ? « Une idée, une image, ce côté immatériel et séduisant qui va faire que les gens auront envie d’acheter la bouteille même un peu plus cher et que, pour l’instant, l’appellation ne peut pas nous apporter ».
Vignoble en terrasses
Or, il s’avère que parmi les adhérents de la cave, il y a les deux abbayes du Barroux : Sainte-Madeleine et ses quelque 60 moines ; Notre-Dame de l'Annonciation et ses 30 moniales. Qui, depuis que le père Odon a récupéré la gestion en 2010 des 8 hectares de vignes, s’investissent beaucoup plus dans le travail de la terre. A tel point que le moine du Barroux a fini par avoir sa place au conseil d’administration de la cave.
« J’ai voulu apprendre à travailler correctement, raconte le père Odon, et j’ai rencontré à l’extérieur du monastère les personnes qu’il fallait, comme Jean-Dominique Artau, à l’époque chef de culture de la Janasse à Châteauneuf-du-Pape, car nous voulions passer en bio… Sébastien Carme faisait déjà à ce moment-là un peu de prestations chez les sœurs et je l’ai fait intervenir en tant que prestataire de service sur des chantiers de palissage, plantation de piquets, etc. Nous avons senti très vite que nous avions beaucoup de choses à partager. Une vision de l’avenir avec des regards différents mais qui se complétaient ».
Une similitude de points de vue qui n’a pas forcément convaincu tout le monde, tant du côté des vignerons où d’aucun semblent redouter encore aujourd’hui que les moines, avec leur vignoble de huit hectares, s’accaparent de l’image de la cave et de ses 300 ha de vignes ; et du côté de la communauté religieuse, des frères peu enclins pour certains à s’engager hors les murs de l’abbaye.
« Je bataille à ma manière pour que dans 15 ans, la cave ne se casse pas la gueule, insiste le père Odon qui dit avoir perçu une forme de misère morale et psychologique dans une partie du monde agricole autour du Ventoux et d’une absence d’avenir vraiment stable pour les enfants des vignerons. Ce que Sébastien Clément résume en une phrase : « Soit on accepte qu’il y ait des terres à l’abandon avec des néo-ruraux qui viennent s’installer ici à la place des agriculteurs, soit il faut un modèle économique qui puisse intéresser nos enfants ». Et ce modèle économique passe selon lui par la marque Caritas.
Plus d’informations sur les cuvées Caritas et l’histoire des moines bénédictins des monastères du Barroux sur le site : www.vignoble-caritas.com
La force de l’image monastique
Cette marque Caritas, ce sont donc des cuvées solidaires au bénéfice de tous les acteurs locaux de la filière, en premier lieu les vignerons. Qui n’avaient pas attendu pour autant les moines pour faire du “haut de gamme” en s’investissant à fond depuis plus de dix ans dans la réhabilitation des fameux bancaous. « Pierre Rivet, président de la cave juste avant l’actuel Luc Piquet, avait vu que notre territoire ne permettait pas d’industrialiser les vins, précise encore Sébastien Clément. Mais il avait compris que toutes nos anciennes banquettes constituaient un territoire riche qu’il fallait conserver et réhabiliter ». Ce qui a été fait progressivement en remettant en état les terrasses de ce vignoble de montagne qui est considéré comme étant le plus ancien vignoble pontifical planté vers 1309 par le pape Clément V sur les terres du canton de Malaucène.
Un vignoble d’exception, cultivé en grande partie aujourd’hui selon un cahier des charges unique dans la région, avec une haute densité de plantation (7 500 pieds par hectare), un palissage haut sur des piquets en bois et un travail presque entièrement fait à la main : épamprages et effeuillages, tri draconien des vendanges… Ce qui donne des raisins plus concentrés avec de faibles rendements. Un mode de culture qui s’est par la suite étendu au vignoble des abbayes, ce qui a permis ce rapprochement avec les vignerons Lux Montis et la naissance des cuvées Caritas : 35.000 flacons l’an dernier sur une production totale pour la cave de 500.000 bouteilles.
Mais avant de se lancer dans l’aventure, il fallait l’avis d’un expert. C’est Philippe Cambie qui s’y est collé. Après avoir glané quelques explications sur le projet, l’œnologue réputé de Châteauneuf-du-Pape a goûté toutes les cuves et il a trouvé ça bon. C’est lui donc qui aujourd’hui valide et affine les assemblages, Miguel Varo, ingénieur agronome spécialisé en viticulture, et Daniel Haïle, l’œnologue de la cave de Beaumont-du-Ventoux, intervenant eux sur le parcellaire de la cave et sur la vinification.
La marque "Caritas » - "amour de l'autre" en latin – va-t-elle enfin permettre de valoriser au juste prix le rude labeur des vignerons du territoire ? « J’y crois, affirme Sébastien Clément. Et si on pouvait exporter quelques palettes dans les prochaines semaines, tous les vignerons en seraient convaincus ».
Un souffle nouveau
C'est dans les années 1980 que les bénédictins et les bénédictines sont revenus s'installer au nord de l'ancien Comtat Venaissin, terre pontificale du XIIIe au XVIIIe siècle. Sur les pas de Dom Gérard, arrivé lui en août 1970 après une mission au Brésil. Il s’était d’abord installé seul dans une petite chapelle à Bedoin avant de migrer vers le site actuel pour faire face à l’afflux de nombreux postulants. Un site sur lequel il a fallu tout construire : dix années de travaux pour voir s’ériger l’abbaye du Barroux telle qu’on la connaît aujourd’hui. Afin de subvenir à leurs besoins, les membres de la communauté religieuse - fidèles à la prescription de leur père saint Benoît de Nursie - «Ora et labora» (prie et travaille)- pouvaient compter entre autres sur plusieurs productions : boulangerie, lavandin, huile d’olive, qui connaissent un succès extraordinaire auprès d’une clientèle qui apprécie le label « produit monastique ».
A côté de ces productions est donc venue se greffer assez rapidement la viticulture qui a vraiment démarré avec l’arrivée des moniales venues d’Uzès qui ont fait l’acquisition pour bâtir leur monastère d’une ferme viticole, la Font de Pertus… en promettant d’y maintenir le vignoble. Ce qui incitera par la suite les moines à planter à leur tour des vignes au pied de leur colline. Et c’est à la cave vinicole voisine de Beaumont-du-Ventoux que leur vin est vinifié depuis 1986. Quelques années plus tard, en 2011, ils décident de rejoindre le projet des vignerons qui se sont lancés, avec la réfection de leurs terrasses, dans un mode de culture de leurs vignes extrêmement pointu.
« Les vignerons ont un savoir-faire depuis des générations que je ne peux pas leur apporter, souligne le père Odon. Mais nous, les moines, pouvons insuffler une nouvelle dynamique et une volonté de faire au mieux ».
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