L’œnologue de Châteauneuf-du-Pape à la renommée internationale prodigue ses conseils à plus de 70 domaines. Avec beaucoup de succès, sans recette miracle mais en faisant juste confiance aux vignerons pour qu’ils affirment leur propre identité.
L’idée de rencontrer Philippe Cambie, œnologue consultant réputé de la Vallée du Rhône, me trottait dans la tête depuis un long moment. Pour qui s’intéresse aux vins en général et à ceux de la Vallée du Rhône sud en particulier, il peut être une énigme. Du moins si l’on se réfère à ses publications sur les réseaux sociaux où il partage sans vergogne les innombrables plats qu’il déguste sur les meilleures tables de la région et d’ailleurs et les cuvées incroyables dont il régale son gosier. Comment ce personnage que ne renierait pas Rabelais, à la fois discret et disert, si imposant par sa masse corporelle et si humble dans ses propos, qui conseille – à la louche – 70 domaines dont certains très prestigieux, qui a vu sa renommée traverser l’Atlantique, peut-il tenir ce rythme d’enfer qui me semble effréné ? Et comment s’est forgée sa notoriété ?
Eléments de réponse avec l’intéressé lui-même qui m’accueille à l’heure du déjeuner chez lui, dans son fief de Châteauneuf-du-Pape. Tout en préparant avec son assistant Simon une dégustation qui doit avoir lieu le soir même avec des amis, il a pris le temps de cuisiner : boudin blanc aux pommes en entrée, suivi d’un curry de lapin aux carottes qui mijote depuis 8 heures du mat… un peu de fromage, un bouteille de blanc du Château Vaudieu et nous voilà prêts pour l’interview.
Un parcours éclectique / Philippe me raconte rapidement son parcours qui sans être exceptionnel est extrêmement varié : Ecole nationale supérieure des industries agricoles et alimentaires à Massy, un diplôme national d’œnologie à Montpellier (en 1986) suivi d’un premier job à la Société des vins fins de la vallée du Rhône. Un petit saut dans le nord comme directeur d’un négoce de vin de table avant de revenir dans le sud comme responsable commercial de la Société française du liège. Il devient ensuite (de 95 à 97), responsable de la production au groupement interprofessionnel des Collioure-Banyuls.
Et enfin, en 1998, l’occasion d’une embauche se présente à l’ICV (Institut coopératif du vin) à Carpentras. « J’ai immédiatement postulé car le poste m’intéressait et parce qu’il me permettait de revenir à Châteauneuf où j’avais beaucoup d’amis. J’étais enfin là où je souhaitais être ». J’appends que sa famille est originaire de Pézenas où il est né le 21 janvier 1962 – ce qui explique sa passion du rugby qu’il a longtemps pratiqué – et où se trouve encore le domaine familial mais que ses parents, contrairement aux grands-parents, n’étaient pas du tout agriculteurs mais qu’ils travaillaient dans l’administration à Marseille où ils étaient installés. « Et c’est là qu’a commencé mon histoire d’amour avec la Vallée du Rhône. Parce que dans la cave de mon père, il y avait soit des châteauneufs, soit des gigondas. On en a toujours bus, depuis que je suis tout petit » me dit-il sans préciser à quel âge a commencé cette initiation.
Le chouchou des médias anglo-saxons / Du commerce, de l’embouteillage, de la gestion de négoce, du bouchon, de la dégustation… Philippe Cambie le touche-à-tout est prêt pour entamer sa carrière d’œnologue conseil qui va faire de lui un flying winemaker reconnu. « Je suis tombé au bon moment au bon endroit, tempère-t-il. Robert Parker était passé par là et avait déjà commencé à magnifier les vins de Châteauneuf-du-Pape avec des super-notes. Il avait lancé quelques vignerons et révélé au monde que c’était un des plus grands vins ».
Sacré meilleur œnologue de l’année 2010 par ce même Robert Parker, nominé pour le titre de « Winemaker of the Year » par le magazine Wine Enthusiast en 2011 et surnommé « Force motrice de Châteauneuf-du-Pape » par Wine Spectator l’année suivante, il reconnaît bien volontiers que sa notoriété, il l’a doit en partie à la presse anglo-saxonne.
Comme au rugby, l’esprit d’équipe / Face à ce succès grandissant et au nombre impressionnant des ses clients (environ 70 aujourd’hui), je demande alors à Philippe s’il n’y a pas un risque d’uniformisation du goût…un goût qui correspondrait à une mode… « J’ai toujours dit : dans ma cave, je ne veux pas 70 fois le même vin, me rétorque-t-il gentiment. Et puis, ce n’est pas le consultant qui fait le vin, c’est le vigneron. C’est une question d’adéquation entre l’un et l’autre. Il y a mes conseils, mais il y a aussi le climat, les sols, les vignes, les cépages, les appellations, des maturités différentes ; et la façon de travailler du vigneron. Mon concept, c’est d’aider les domaines à créer leur propre identité ». Voilà qui est dit ! La méthode Cambie, c’est donc un accompagnement du vigneron pour qu’il exprime ses idées, des discussions, des sélections de terroirs, un travail sur les assemblages, une réflexion sur les gammes, sur le commerce, ses incidences sur la viticulture… Quand il est au Clos Saint-Jean, avec les Moines du Barroux ou au Cellier des Princes, Philippe Cambie ne travaille pas de la même manière. « Je n’ai pas de recette, dit-il encore. Nous étudions, nous réfléchissons et nous travaillons ensemble. Quand tu passes une ou deux fois par semaine chez ton client, ce n’est pas toi qui fais le vin. Tu y participes au sein d’une équipe. C’est comme le rugby, ça demande une démarche collective… Je n’aime pas jouer seul ».
Même pour ses propres cuvées, pour lesquelles il travaille en tandem. Avec Michel Gassier, porte-étendard des Costières de Nîmes, pour les Halos de Jupiter qui se déclinent en 5 appellations : Châteauneuf-du-Pape, Gigondas, Vacqueyras, Côtes du Rhône et Costières de Nîmes ; et avec Gilles Ferran, du domaine des Escaravailles, son copain de fac qui a été un de ses premiers clients avec la famille Giraud à Châteauneuf du Pape. Avec lui, il produit sur le domaine Calendal, une petite exploitation de 4 ha plantés en vieux mourvèdres et grenaches, un superbe côtes-du-rhône villages Plan de Dieu.
Grenache, cépages autochtones et biodiversité / Un autre sujet sur lequel Philippe est intarissable, c’est le grenache, le roi des cépages selon lui, « plein de fruit, de générosité, de plaisir, d’arôme de réglisse quand il est jeune et exceptionnel quand il vieillit. C’est pour ça qu’on gagne sur tous les marchés » affirme-t-il. Mais il n’en oublie pas pour autant les autres cépages, considérant que pour progresser, il faut être en situation de « dialogue gustatif » avec les autres régions et les autres pays. Comme en Macédoine par exemple où il accompagne un vignoble depuis 1989, celui de la Tikves Winery. « Les gens là-bas recherchaient une renommée internationale et je leur ai dit de ne pas faire des cabernets ou des merlots mais de travailler sur les cépages autochtones comme le vranec, ou le kratochia ». Pari réussi avec une pluie de médailles dans les concours et d’excellentes notes décernées par Robert Parker dès le début des années 2000.
Voilà me dis-je qui illustre bien ce dialogue gustatif qui l’inspire et qui passe aussi par le respect de l’environnement (70 à 80% des vins qu’il conseille sont en bio) et de la biodiversité. Que l’on retrouve condensé dans son amour pour la cuisine. Comme la peinture contemporaine qu’il affectionne et la musique rock qui le fait vibrer, la cuisine lui permet de découvrir un pan entier de la culture d’un pays. Avec une règle : « Pour moi, déguster une bouteille, ça se fait à table et avec des amis ». Une philosophie de la vie dont il vient de me donner une illustration et à laquelle j’adhère totalement…
Vous pouvez suivre Philippe Cambie sur les réseaux sociaux : Twitter (@philippecambie) et Facebook (où il compte quelque 5000 amis). Sinon, vous trouverez tous les détails le concernant sur son site internet ainsi que l’actualité des domaines avec lesquels il collabore, parmi lesquels plus de 20 sur Châteauneuf du Pape: www.philippecambie.com