En terre d'Islam, dans la médina de Taroudannt, le long d'une rue passante, se niche un endroit quelque peu hors du temps. Au dessus d'un petit portail, on remarque ces deux mots : église catholique.
Vestige de la présence française, l'église, très simple - en fait une chapelle - invisible depuis la rue, ne se distingue que par cette inscription. Une église que fréquentaient il n'y a pas si longtemps les époux Chirac lorsqu'ils séjournaient à Taroudannt. Le sanctuaire fait partie d'un ensemble plus important de bâtiments traditionnels entourant un délicieux patio où s'épanouissent euphorbes et palmiers. Jouxtant cet endroit paisible, une surprise m’attend : un vaste jardin, surprenant dans ce quartier urbain, au milieu duquel m’accueille Marc, le curé. Un peu perplexe, je demande à ce dernier de quand date l'implantation d'une présence chrétienne à Taroudannt.
« En 1929, un médecin chrétien français, le docteur de Châtignières s'est installé à Taroudannt avec son épouse, me dit-il avec un franc sourire. C'est lui d'ailleurs qui a ouvert le premier hôpital de la ville, embryon de l'actuel établissement. Petit à petit, les Européens, Français majoritaires bien sûr, et des prêtres se sont installés. Tout ce que je sais de plus, c'est que pendant le Protectorat, l'Eglise possédait une parcelle qui jouxte le grand jardin et une autre hors les murs. Grâce à un échange de terrain au bénéfice d’un orphelinat, l’Eglise a depuis 1959 le titre de propriété de l’actuel terrain où nous nous trouvons ». Des sœurs étaient également présentes me précise-t-il encore, qui ont vécu dans ce lieu pendant quelques temps. Mais du fait de leur grand âge, les dernières sont parties il y a 7 ans, « regrettées par la population locale » selon Marc.
Lui-même arrivé à Taroudannt il y a quelques mois, il évoque alors son parcours. Ordonné prêtre en 1984, il a essentiellement exercé en tant qu'aumônier de prison dans l'Est de la France d’où il est originaire. Il a ainsi créé une petite entreprise de réinsertion pour les anciens détenus et s'est également occupé de communautés religieuses en Alsace. Il rajoute : « Ceci-dit, après les vagues d'attentats du début du siècle, je voulais à ma manière œuvrer pour le dialogue inter-religieux entre chrétiens et musulmans. Ayant visité à plusieurs reprises le Maroc avec enthousiasme, j'ai proposé à l’évêque de Rabat de servir l’Eglise d’ici. Alors qu’il ne devait plus y avoir de curé à Taroudannt, il m’a proposé d’occuper le poste vacant depuis trois ans, arrivant dans une ville que je ne connaissais pas ».
Tout en cheminant sous les ombrages, je recentre la conversation sur ce jardin qui m'intrigue toujours. Nous sommes en effet au beau milieu d'un havre de paix d'environ un hectare. C'est un lieu assez magique que peu de gens connaissent, une parenthèse verdoyante au centre de la ville, autrefois beaucoup moins urbanisée d'ailleurs. Il est temps que mon hôte m'en dise plus... Comme vous le découvrez, c'est un jardin régulier, traditionnel, avec de longues allées droites qui se coupent entre elles. Des charmilles apportent une fraîcheur bienvenue. Lorsque je suis arrivé, nous avons procédé à une remise en état. Un très gros élagage a été fait avec l'aide de la municipalité, je tiens à le préciser. Il a fallu également réparer les murets et restaurer les seguias ».
Après cet important chantier, Marc a petit à petit repensé l'organisation des espaces en regroupant certaines variétés de plantes. Une petite palmeraie a été créée par exemple ainsi qu'un carré de cactées. « Nous avons aussi disposé à plusieurs endroits des espaces de détente qui évoquent le Maroc ». Parmi les espèces remarquables, je tombe en admiration devant un superbe caoutchouc de plus de 100 ans d'âge ainsi que de très vieux euphorbes. Il y a aussi des bougainvillées taillés en arbustes, ce qui est plutôt rare. Comme dans tous les jardins marocains, il y a aussi beaucoup d'arbres fruitiers : orangers bien sûr mais aussi pamplemoussiers, citronniers, grenadiers... ainsi qu’une grande variété d'arbres d'ornements comme les jacarandas et leur magnifique floraison bleue. « J'essaie aussi d'apporter à ce jardin une note d'humour avec ces musiciens en terre cuite que j'ai rapportés de Rabat. J'ajouterai qu'il y a même une petite vigne dans le patio. J'ai récolté l'an dernier 50 kilos d'un beau raisin de table bien sucré ! ».
En amateur, mon œil néanmoins avisé remarque le soin apporté au lieu. S'il l'on ne peut bien-sûr pas parler de "jardin de curé", on y retrouve cette belle ordonnance propre à ces lieux avec une touche de poésie et de désordre calculé qui chasse l'ennui et invite à la méditation. Je sais que tout cela demande un entretien constant. Devançant ma question, Marc m'apprend qu'un jardinier s’est occupé de ces espaces végétaux durant 28 ans, devenant gardien des lieux, avec son épouse, au moment du décès du dernier curé. Aujourd’hui, c’est un autre jardinier qui a pris la relève…
« Moi-même, je m'y investis beaucoup. Et pour assurer une partie de l'entretien, j'ai eu l'idée d'organiser des déjeuners une fois par mois qui réunissent généralement une vingtaine d’Européens qui résident à Taroudannt. Une partie du prix du repas sert à cet entretien. J'aimerais également ouvrir le jardin au public, au moins une fois par semaine, le vendredi après la prière. Les Roudanis pourraient ainsi profiter de ce lieu. Malheureusement, des blocages administratifs retardent ce projet. Quoi qu'il en soit, toute personne peut téléphoner pour venir visiter le jardin. La porte est grande ouverte ! ». Pour l'instant, elle se referme derrière moi et je retrouve, un peu rêveur, la fébrile activité de la rue... Tél: 00212 673 66 29 05