Cela fait près de 25 ans que le trio Villard, Cuilleron et Gaillard a commencé l’aventure des Vins de Vienne avec, au départ, pour seul objectif, celui de replanter de la vigne sur le terroir de Seyssuel. Un lopin de terre qui produisait déjà du vin à l’époque gallo-romaine mais où la vigne avait été effacée par la crise du phylloxera...
« Quand je montais à Lyon en voiture et que je voyais du côté de Vienne ces beaux coteaux pentus, biens exposés et arides [c’est Yves Cuilleron, vigneron de la Côte Rôtie, qui parle] je me disais que l’on pourrait faire là de bons vins. J’en parle à François Villard qui me dit que Pierre Gaillard lui en avait parlé aussi, en lui précisant qu’il y avait ici, à Seyssuel, un vignoble historique ». C’était en 1995, l’année où les droits de plantation avaient été supprimés dans les appellations Saint-Joseph, Condrieu et Côte Rôtie notamment… « Or, nous étions de jeunes vignerons qui s’installaient, qui replantaient de la vigne dans la région et qui, du coup, se retrouvaient limités ». D’où l’idée folle mais néanmoins réfléchie de replanter ce vignoble oublié.
« Bloqués chez nous, c’est le moment d’aller là-bas » se sont dit nos trois compères qui ont au préalable fait quelques recherches historiques. Ils ont ainsi retrouvé une belle littérature, en particulier un livre d’agronomie d’Olivier de Serres, datant du XVIIème siècle, qui fait référence à l’histoire de ce vignoble de Seyssuel cité dans ses écrits par Pline l’Ancien. Un des premiers vignobles plantés par les Romains, qui semblait avoir aussi bonne réputation que la Côte Rôtie et qui avait totalement disparu à la fin du XIXème alors qu’Il y avait jusque-là plus de 100 ha de vigne sur la commune. Et puis plus rien…
La résurrection d’un vignoble
« C’est un peu la même histoire que les autres terroirs du Rhône nord, souligne Yves Cuilleron, qui ont connu une très mauvaise période au début du XXe siècle après la crise du phylloxéra, du mildiou, de la guerre mondiale. Sans oublier le fait que c’était ici très compliqué à travailler à cause des terrasses ». Si tous les vignobles ont beaucoup souffert, Seyssuel est le seul qui a disparu à 100 %. Alors, lorsque les AOC se sont mises en place à partir de 1936, il n’a même pas été question d’appellation pour cette zone : plus de vignes, plus de vignerons, un vignoble rayé de la carte...
En 1995 commence donc la période de prospection pour relancer ce vignoble. Les trois vignerons, producteurs en Côte Rôtie, se sont vite rendu compte que c’était les mêmes types de sol et le même terroir. « On était sûr que le vin allait être bon ». Ils décident de monter le projet ensemble et créent une société, Les Vins de Vienne, pour avoir plus de moyens, plus d’énergie, plus de matériel, plus de réseaux… « Ça nous donnait des forces et de la crédibilité ». Les parcelles sont prospectées en 1995, la société créée en 1996 et les premières plantations faites la même année.
L’idée étant de recréer un vignoble, il leur semblait impossible de planter une parcelle par-ci, une autre par-là. Quatre hectares d’un coup la première année, près du château des Archevêques, « ce qui est beaucoup sur des coteaux pentus en terrasses. Mais nous voulions avoir tout de suite une production significative pour que l’on puisse en parler et faire du bruit avec ». L’année suivante, deux hectares encore puis un autre hectare… jusqu’à atteindre 12 ha aujourd’hui.
Pour les cépages, leur production étant au départ classée en vin de pays, les trois vignerons avaient une liberté totale mais ils ont vraiment voulu réparer l’histoire en comblant un trou de 80 ans. Ils ont donc planté de la syrah et du viognier « car les vins de Seyssuel, ce n’est pas la création d’un vignoble mais sa résurrection ». Qui a donné naissance à trois cuvées portant les noms des vins identifiés par Pline l’Ancien dans ses écrits : Sotanum en 1998 puis Taburum le blanc en 2000 et la deuxième cuvée de rouge, l’Heluicum en 2004.
La preuve par trois
La première véritable vendange a lieu en 1998 sur la 3e feuille… un excellent millésime dans la Vallée du Rhône septentrionale : « Une chance pour nous car nous démarrions avec de jeunes vignes et sans le support d’une appellation alors que nous voulions d’entrée positionner notre vin dans le haut de gamme ! ».
Pour convaincre les clients, ils se sont donc appuyés sur la qualité de leur première cuvée : « Quand les gens goûtent le vin, il faut qu’ils aient une émotion, que ça les bouleverse ». C’est pourquoi Yves Cuilleron, Pierre Gaillard et François Villard ont été intransigeants sur la qualité avec un travail des vignes très précis, très pointu, une belle vinification, un élevage savant… tout en expliquant que Seyssuel, c’était un terroir qualitatif, historique, bien adapté pour la syrah : « Nous avons effectivement tiré partie de notre réputation personnelle, avec chacun sa clientèle et son réseau de distribution ».
Le succès a été immédiat auprès des locaux d’abord qui étaient contents qu’on replante un vignoble près de chez eux, des restaurateurs qui ont suivi et des sommeliers ravis de découvrir un nouveau vin, une nouvelle appellation. L’export aussi a bien fonctionné (Etats-Unis, Japon, Suisse…) : « Les gens étaient curieux de découvrir ce vin ». Dix à 12 000 bouteilles à peine la première année.
Une petite maison de négoce
D’autres vignerons se sont par la suite intéressés au terroir de Seyssuel, parmi lesquels Stéphane Ogier, Alain Paret, Louis Chèze et Michel Chapoutier… Aujourd’hui, ils sont une vingtaine tous adhérents de l’association Vitis Vienna, qui ont planté les mêmes cépages : syrah et viognier. Les vins sont classés en IGP Collines Rhodaniennes mais l’association a demandé à intégrer l’appellation Côtes du Rhône. Une demande acceptée par le Syndicat général (qui a confié à l’INAO l’instruction du dossier) mais qui ne serait qu’une étape intermédiaire, l’idée finale étant d’accéder au statut de cru sans passer par la case côtes-du-rhône villages… il n’y en a pas dans le Rhône nord.
En attendant, nos trois amis vignerons poursuivent le développement de leur maison de négoce tout en gérant leur propre domaine, ce qui se révèle intéressant mais compliqué. En fait, quand ils ont acheté avec la société Les Vins de Vienne leur premier bâtiment pour vinifier, ils se sont dit immédiatement que pour acheter du matériel, faire des travaux et amortir un peu plus vite les investissements, il fallait produire d’autres vins de la vallée du Rhône. Les Vins de Vienne, c’est donc à la fois cette histoire de résurrection du vignoble de Seyssuel et la création d’une petite maison de négoce avec une multitude de crus de la Vallée du Rhône (tous ceux du nord et les principaux du sud), soit 500 000 bouteilles environ dont 50 à 60 000 de Seyssuel.
« Nous avons choisi de travailler collectivement, que ce soir pour les vinifications ou les achats de raisins. Puis, nous nous sommes structurés car il devenait difficile de tout faire ». Chef de culture, œnologue, responsable commerciale… Aujourd’hui, toutes les décisions de travail des vignes, de vinification, d’élevage, commercialisation, se décident entre les trois vignerons et leur équipe mais « les assemblages, nous les faisons toujours tous les 3 ensemble ». Avec toujours la même philosophie : produire de très beaux raisins en protégeant l’environnement (les Vins de Vienne sont estampillés HVE) pour que le vin parle de lui-même… De la viticulture « haute couture » comme se plaît à l’appeler Yves Cuilleron.
Les Vins de Vienne.- 1 zone d’activités de Jassoux 42410 Chavanay
Tel : 04 74 85 04 52 / www.lesvinsdevienne.fr